Contexte
La réduction de l’impact carbone de notre système de santé ne pourra se faire sans une transformation profonde de nos pratiques. C’est le constat fait par les ingénieurs et les bénévoles du think tank The Shift Project dans le rapport Décarboner la santé pour soigner durablement (avril 2023).
💡Illustration : trajectoire de décarbonation du système de santé selon The Shift Project. La transformation du système de santé incluant le juste soin
En effet, pour parvenir à la neutralité carbone d’ici 2050 (soit une division par 5 de nos émissions actuelles), 20% de cet effort proviendra d’une diminution de la demande de soin. Celle-ci passe par l’activation de 3 leviers :
- la promotion de la santé : faire de la santé une composante transversale des politiques publiques en évaluant a priori leur impact sur la santé humaine ;
- la prévention : prévenir et anticiper l’apparition ou l’aggravation des maladies grâce à des changements de comportements individuels et de modes de vie collectifs ;
- le juste soin : le recours mesuré au système de santé quand le diagnostic et le soin curatif deviennent indispensables au maintien en bonne santé.
Définitions : soins durables, éco-soins et juste soin.
Plusieurs dénominations sont utilisées par les acteurs de santé pour qualifier les démarches de diminution de l’impact des soins sur l’environnement. Il convient de distinguer :
- ♻️ Les soins durables, qui vont avoir la conception la plus large, recherchant à diminuer l’empreinte écologique (sur l’environnement, la santé humaine, les éco-systèmes, le climat…) du parcours de soin (et pas forcément uniquement du soin en tant que tel). C’est un terme générique utilisé pour qualifié une démarche de développement durable qui s’applique à un niveau local (un service, une consultation, un acte…) au sein d’une organisation de santé.
- 📉 L’écosoin (ou soin éco-conçu) s’intéresse spécifiquement au soin dans son intégralité : de sa conception à son utilisation jusqu’au suivi post-soin. C’est une démarche d’éco-conception appliquée au soin, qui s’appuie méthodologiquement sur des outils comme l’analyse du cycle de vie (ACV) ou d’autre cadres plus élargis (ex : méthode SPREAdPerti au CHU de Bordeaux qui intègre des éléments sur la qualité de vie au travail) pour quantifier les impacts puis les réduire. Plusieurs impacts peuvent être mesurés.
- 🎯 Le juste soin : c’est un soin qui intervient au bon moment, en bonne quantité, délivré et pensé en lien avec le patient. Pour les acteurs de santé, il se confond souvent avec l’écosoin. Un cadre de pensée théorique consistant vient toutefois étayer cette définition, qui s’appuie sur l’éthique anglo-saxone du care. Cela repose sur la prise en compte de la vulnérabilité d’autrui, la recherche d’un posture soignante et bienveillante visant à élever le patient vers le plus haut degré d’autonomie possible, l’association systématique du patient à la conception du soin entre autres aspects (des auteurs comme Serge Philippon ou Cynthia Fleury ont grandement contribué à diffuser en France). Cela donne à la définition du “juste soin” une dimension plus complexe, plus holistique, même si la question de la durabilité y est intrinsèque : il est sobre en ressources physiques puisqu’il réinvestit le lien humain (ex : développement des alternatives aux thérapies médicamenteuses en santé mentale, comme l’art-thérapie, la boxe thérapie, la méditation…).
Dans une perspective climatique, la mise en place de soins moins carbonés s’insèrent pleinement dans une perspective de soins durables. L’éco-conception du soin est une méthodologie le permettant.
Méthodologie de l’éco-conception du soin
Nous prenons le parti d’être réducteur dans la présentation de la méthodologie, en la synthétisant par le commentaire de deux illustrations. Si vous êtes désireux d’en apprendre davantage sur la question, nous vous recommandons les formations dispensées par l’ADEME (certaines gratuites, s’appuie sur le cadre réglementaire français), l’AFNOR (payante, dont un des formateurs connait très bien le milieu hospitalier) ou encore le MOOC de l’EPFL pour mieux comprendre l’analyse du cycle de vie (gratuite ou payante, plus indiqué pour les produits de santé).
1. Un cadre de pensée pour ne passer à côté d’aucun impact
L’éco-conception du soin vise à optimiser les ressources nécessaires à sa réalisation, à des fins écologiques, tout en conservant le même service médical rendu. Pour cela, il faut considérer l’ensemble des produits et services associés au soin et pour chacun d’entre eux considérer l’ensemble de leur cycle de vie.
Ce schéma de l’ADEME illustre l’ensemble des étapes du cycle de vie et une démarche centrale, celle de repenser leur déroulement pour optimiser les ressources associées et diminuer les impacts sur l’environnement (dont le climat). Pour simplifier l’analyse, il est recommandé de décomposer le soins en actes ne requérant qu’un nombre limité de produits ou services. La démarche peut être réalisée sur une chaine de soins (ou parcours).
On notera que le professionnel de santé a la main directement que sur les phases d’utilisation et de fin de vie du produit : les autres nécessitent une concertation avec d’autres parties prenantes mettant nécessairement plus de temps à aboutir. C’est pourquoi une démarche de sobriété de recours aux soins est à privilégier : elle permet de ne pas recourir du tout au produit ou au service (et donc d’agir sur les autres étapes en les supprimant).
2. Plusieurs leviers d’action pour diminuer l’impact sur le climat
Le soin éco-conçu va donc fournir des leviers sur toute la structure de consommation d’un produit ou d’un service :
Sur ce schéma standard (utilisé par The Shift Project dans son premier rapport en 2021), on comprend que :
- Pour un même service médical rendu :
- Il y a une part de soins inutiles ou gaspillés que l’on peut éviter : ce sont les impacts les plus faciles à obtenir (à effet immédiat et simples à identifier) ;
- Certains peuvent être substitués par d’autres plus performants écologiquement, ce qui demande de pouvoir comparer des impacts ;
- D’autres soins ne peuvent être supprimés sans avoir un service médical rendu moindre : il s’agit là d’agir en amont sur la prévention et la promotion de la santé pour éviter l’apparition des pathologies.
L’éco-soin peut donc aboutir à des actions visant à supprimer ce qui est inutile ou gaspillé, substituer certains produits par d’autres à moindre impact écologique, agir en amont de la demande de soins.
Retours d’expériences
Nous vous proposons ici de découvrir 2 retours d’expériences activant 2 leviers différents pour comprendre ce sur quoi peut aboutir une démarche d’éco-conception des soins.
1. Agir sur la demande de soins
Le CHU de Bordeaux a souhaité investiguer la pertinence des demandes d'examens complémentaires en anatomo-cyto-pathologie (ou “ACP”). Ils s’appuient pour cela sur un cadre méthodologique propre (SPREAd Perti) et une grille d’analyse permettant de qualifier la pertinence des actes réalisés.
💡 Illustration : extrait du guide des unités durables du CHU de Bordeaux
Procédant en deux temps, un premier d’analyse rétrospective et un second de test de nouveaux protocoles, cela a aboutit in fine à une réduction de 10 à 3 types d’examens possibles à prescrire.
En résulte de nombreux impacts positifs :
- Sur l’environnement : suppression d’actes énergivores, très intensifs en consommables ;
- Sur la qualité de vie au travail : réduction de la charge de travail (moins d’opérations complexes), moins de manutention du fait de la diminution du nombre de références de produits de santé utilisées ;
- Sur qualité de service rendu au patient : moindres délais de réalisation des examens ;
- Sur l’économie du laboratoire : économies d’échelle (-22k€/an).
Plus d’information sur le site de l’ANAP.
2. Substituer des produits à fort impact environnemental
Le Centre Hospitalier de Versailles (GHT Sud Yvelines) a pris la décision de proposer systématiquement des alternatives par voie orale (per os)aux prescriptions de traitements par voie intraveineuse. En effet, la démonstration a été faite (et documentée) pour de nombreuses molécules que l’administration per os avait bien moins d’externalités négatives pour l’environnement en raison du moindre conditionnement (ex : un rapport de 1 à 12 pour le paracétamol selon une étude de Davies et al. publiée dans le British Journal of Anaesthesia en janvier 2024). Par ailleurs, la technicité de l’acte d’administration par voie intraveineuse fait également pencher en faveur d’un allègement de la charge de travail lorsqu’on peut l’éviter. C’est également, dans ce cas précis, une source incidente d’économies financières (-98% selon la même étude)
💡Graphique élaboré à partir des conclusions de l’article publié dans le BJA : “The carbon footprint for a 1 g dose was 38 g CO2e (oral tablet), 151 g CO2e (oral liquid), and 310–628 g CO2e (i.v. dependent on type of packaging and administration supplies).”
Le CH de Versailles a réalisé un travail en plusieurs temps (analyse des principales molécules utilisées, identification des substitutions par voie orale possibles, priorisation) avant de proposer, en lien avec les équipes informatiques, un module d’alerte au moment de la prescription pour proposer au médecin une alternative à l’intraveineux lorsque possible.
💡Extrait de la présentation du CH de Versailles lors du webinaire organisé par la FHF le 21/09/2023
Résultat : plus de 70% des propositions de substitution sont acceptées par les prescripteurs.
Conclusion
La démarche d’éco-conception des soins a pour finalité de diminuer l’impact des soins sur l’environnement, en activant des leviers différents (dont la réduction du recours au soin, le plus efficace). Incidemment, d’autres bénéfices peuvent découler de cette démarche : amélioration de la qualité de vie au travail, du coût de revient du soin, de la qualité des soins.
Pour aller de l’avant, Shadow vous recommande de procéder par étape :
- Identifier un service volontaire sur la question ;
- Former les principaux acteurs aux cadres méthodologiques importants (analyse du cycle de vie, éco-conception des soins) ;
- Débuter par des actions simples et fédératrices, célébrer et communiquer sur les succès ;
- Réaliser des analyses de cycle de vie dans un second temps (de nombreuses ACV sont d’ores et déjà disponibles sur la base de donnée en ligne HealthCare LCA, voir ci-après Ressources), sur des parcours de soins majeurs de votre établissement.
Ressources
- Base de données ANAP sur l’éco-conception des soins
- Webinaires de la Fédération Hospitalière de France sur la transition écologique en santé :
- Réseau européen HealthCare Without Harm : documentation et retours d’expériences
- HealtCare LCA : une base de donnée d’analyses de cycle de vie avec plusieurs centaines de dispositifs médicaux pour vous aider à identifier des produits de substitution.
- Dans votre accès à la plateforme MyShadow : un répertoire de bonnes pratiques avec une évaluation de l’impact sur le climat et de sa faisabilité (économique et organisationnelle).