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Transition énergétique et écologique en santé : un virage crucial pour éviter une crise coûteuse

Transition énergétique et écologique en santé : un virage crucial pour éviter une crise coûteuse

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Le secteur de la santé en France est responsable de près de 8 % de l’empreinte carbone nationale, selon un rapport du Think Tank The Shift Project. Ces émissions, liées à la consommation d’énergie, aux achats médicaux, aux transports et à la gestion des déchets, placent le système de santé au cœur des secteurs à haute intensité carbone. Si cette donnée souligne l’ampleur de l’enjeu, elle révèle surtout que sans une contribution massive du secteur, la France ne pourra pas respecter les engagements de l’Accord de Paris.

Avec la crise énergétique qui fait suite à la reprise économique post Covid-19 et l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la hausse exponentielle des prix de l’énergie rend l'urgence d’agir encore plus pressante. Les hôpitaux, comme l’ensemble des établissements de santé, doivent rapidement adopter des pratiques plus durables, non seulement pour réduire leur impact environnemental, mais aussi pour sécuriser la permanence et la continuité des soins au sein des territoires grâce à l’utilisation d’énergies bas-carbone. Il est temps de passer à la vitesse supérieure, au risque d’en payer le prix tant sur le plan économique que sur le plan sanitaire.

Un contexte énergétique et climatique qui exige des réponses rapides

Depuis la pandémie de Covid-19, les comités développement durable réapparaissent dans les établissements de santé, mais le temps des petites actions symboliques (comme l'élimination des gobelets en plastique) est révolu.

Aujourd’hui, l’urgence climatique impose des mesures structurelles, impactant directement le fonctionnement quotidien des établissements. Le directeur d’établissement ne peut plus éviter ce sujet, et doit comprendre les implications : le secteur de la santé est fortement dépendant des énergies fossiles, responsables du changement climatique. Le chauffage des bâtiments, le transport des patients et des professionnels de santé, ou encore la chaîne logistique des médicaments reposent largement sur des énergies carbonées et dont les prix sont imprévisibles.

En parallèle, les conséquences du dérèglement climatique sur la santé publique deviennent de plus en plus tangibles. La Guyane a subi l’une des plus graves épidémies de dengue des vingt dernières années (1), perturbant gravement le système hospitalier local. En métropole, le moustique tigre continue sa propagation, favorisé par des températures plus clémentes dues au changement climatique (2). Selon un rapport de Santé Publique France (3), le nombre de cas importés de dengue en France a littéralement explosé en 2024, avec des projections inquiétantes pour l’avenir. Si rien n’est fait, nous devons nous attendre à des crises sanitaires similaires en métropole accompagnées d'une pression insoutenable sur les hôpitaux et autres structures de soins.

Un cadre législatif de plus en plus exigeant pour les établissements de santé

La transition énergétique et écologique des établissements de santé est inscrite dans plusieurs textes réglementaires. Il est essentiel de rappeler que cette transformation est autant un impératif moral qu’une obligation légale. Trois grandes normes encadrent cette démarche :

  1. Le volet écoresponsable des établissements doit fixer des objectifs précis pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Selon les termes du Code de la santé publique (Article L6143-2), ce volet doit être intégré dans le projet d’établissement ;
  2. Les établissements publics de plus de 250 personnes et privés de plus de 500 salariés sont tenus de réaliser un bilan des émissions de GES sur une année, en identifiant les principaux postes d’émissions directes et indirectes. Ce bilan doit être mis à jour tous les 4 ans pour le secteur privé, et tous les trois ans pour les structures publiques, comme le prévoit l’article L229-25 du Code de l’environnement.
  3. La certification de la Haute Autorité de santé impose aux établissements de santé et médico-sociaux de maîtriser les risques environnementaux et de prendre en compte les enjeux du développement durable dans leur gestion quotidienne. Le critère 3.6-04 stipule pour les ES : "les risques environnementaux sont maîtrisés". Le critère 3.15.1 indique que “l’ESSMS définit et met en oeuvre sa stratégie optimisation des achats et de développement durable”.

D’autres obligations thématiques sont tout autant importantes et permettent d’abonder ce plan de transition. Elles couvrent par exemple la gestion des déchets, avec l’arrivée d’un 8ème flux - les textiles - en 2025 (4), la restauration durable avec l’augmentation de la part des protéines végétales (5) et l’obligation d’instaurer un menu végétarien (6) ou le renouvellement des parcs automobiles avec des véhicules à faibles et très faibles émissions de CO2 selon des quotas fixés (7).

Un secteur encore en retard sur ses engagements écologiques

Malgré ce cadre législatif rigoureux, de nombreux établissements de santé sont encore loin de respecter les obligations en matière de diagnostic des émissions de gaz à effet de serre.

Environ un quart des bilans carbone rendus publics ne concernent que les émissions directes d’énergie (Scope 1 et 2). Cela signifie que les émissions indirectes, pourtant majoritaires, liées aux achats de matériel médical, au transport des patients ou encore à l’usage des technologies numériques, ne sont pas prises en compte. 87 % des émissions du secteur de la santé seraient ainsi ignorées dans les bilans actuels, selon des estimations du Shift Project (8).

L’Étude « Transition écologique : Où en sont les CHU ? » menée sous l’égide des directeurs généraux des CHU de France montre que seulement ⅓ des CHU a réalisé un bilan d’émissions de gaz à effet de serre complet. 50% n’a pas défini de plan de transition pour réduire ses émissions et seuls 4 établissements ont une stratégie bas-carbone accompagnée d’indicateurs chiffrés.

Ce manque de données précises rend difficile toute stratégie de décarbonation efficace car sans une analyse exhaustive, il est impossible de prioriser les actions les plus urgentes et ainsi d’orienter des ressources humaines et financières limitées.

Par ailleurs, et sans une véritable comptabilité carbone, c’est-à-dire la mise à jour de ce bilan régulièrement et en interne, le respect des engagements de réduction des émissions sur les 25 prochaines années apparaît impossible. Comment un directeur d’hôpital pourrait-il piloter une démarche d’une telle ampleur sans indicateurs ?

Sobriété, efficacité et technologies bas-carbone : les solutions pour décarboner le secteur de la santé sont sur la table.

Face à la flambée des prix de l’énergie, la situation financière des établissements de santé est préoccupante. Les Centres Hospitaliers Universitaires (CHU), par exemple, ont vu leur facture énergétique augmenter de manière significative ces dernières années, de 300 millions d’euros à 750 millions d’euros.  

Les CHU ont donc engagé depuis trois ans des plans de sobriété énergétique (chasse au gaspillage, au chauffage des unités non utilisées, écogestes) qui se traduisent déjà par une baisse de 10% de leur consommation énergétique de plus de 4 millions de mégawattheures (MWh) à 3,6 millions de MWh aujourd’hui.

Après les usages, il sera temps de s’atteler à la performance des équipements et donc à l’efficacité énergétique avec des petits investissements à fort ROI (retour sur investissement) parmi lesquels le réglage et le paramétrage des équipements (jusqu’à 13% d’économies en adaptant le besoin à l’usage), le relamping Led et l’ajout de détecteurs de présence, le calorifugeage des réseaux ou la mise en place de robinets thermostatique (jusqu’à 20% d’économies).

Enfin, se posera la question des investissements d’ampleur pour sortir définitivement les énergies fossiles des établissements de santé et notamment les chaudières au gaz naturel qui ne sont pas compatibles avec la transition énergétique et écologique. Biomasse, réseaux de chaleur urbains et/ou pompes à chaleur : les solutions sont sur la table et permettent de garantir des prix stables, de 50 à 100 € le MWh pour la biomasse et les réseaux de chaleur contre 100 à 300 € le MWh pour le gaz naturel avec une incertitude forte sur son évolution.

Évidemment, ce triptyque (sobriété, efficacité et technologies) peut être plaqué sur bien d’autres sujets. En matières de déplacements, les mobilités douces (comme le vélo), le covoiturage (via la mise à disposition d’un système dédié entre professionnels) ou l'électrification de la flotte de véhicules répondent à la même logique. Une attention au gaspillage de consommables médicaux, un meilleur tri et l’installation d’un banaliseur permettent de réduire les émissions associés aux DASRI dont la tonne est particulièrement coûteuse.

Des initiatives locales et une coordination nationale prometteuses

Plusieurs initiatives locales prouvent la volonté d’agir des professionnels et leur capacité à mettre en œuvre des projets parfois complexes.

Par exemple, le CHU de Montpellier a lancé une réflexion sur les déplacements domicile-travail de ses 12 000 agents et la gestion de sa flotte de véhicules. D’ici 2027, le CHU prévoit de renouveler ses véhicules par des modèles à faibles émissions, tandis que ses poids lourds fonctionnent désormais au biodiesel, réduisant ainsi leur empreinte carbone.

L’APHM s’est distinguée par son Green Bloc avec la suppression totale aux hôpitaux de la Timone et Nord du protoxyde d’azote et du desflurane, deux gaz anesthésiques au potentiel de réchauffement climatique particulièrement élevés.

Le Centre Hospitalier de Polynésie Française, quant à lui, utilise depuis juillet 2022 un système de climatisation marine, le SWAC, qui puise dans les eaux profondes de l’océan pour refroidir l’établissement. Ce système novateur a permis de réduire la consommation d’énergie de 90 % pour la production de froid, une économie équivalente à 10 GWh par an et une réduction de 5 000 tonnes de CO2.

Ces initiatives montrent la voie, mais elles restent dispersées et manquent d’une véritable coordination nationale. Un pilotage carbone plus rigoureux, soutenu par des investissements publics et privés, est nécessaire pour permettre une transition à la hauteur des enjeux climatiques. Telle est la volonté de la feuille de route de planification écologique en santé initiée par Elisabeth Borne en 2023 et déclinée en 7 champs d’actions :

  1. Bâtiment et maîtrise de l’énergie ;
  2. Achats durables ;
  3. Soins écoresponsables ;
  4. Déchets du secteur ;
  5. Formation et recherche en transformation écologique ;
  6. Mobilités durables ;
  7. Impact environnemental du numérique.

Conclusion : agir vite et bien pour éviter une crise sanitaire et économique

Le secteur de la santé est à la croisée des chemins. Si des initiatives locales existent, elles méritent d’être rationalisées en instaurant une véritable comptabilité carbone afin d’en mesurer précisément les fruits (9).

L’urgence climatique et les tensions sur l’énergie exigent que les établissements de santé deviennent des pionniers de la transition énergétique, sous peine de voir leurs coûts exploser et leur capacité à investir et à fournir des soins se détériorer.

La décarbonation du secteur est en effet une nécessité pour atteindre les objectifs climatiques, mais aussi pour assurer la continuité, la permanence des soins et préserver la santé publique.  

L’heure est aux actions de sobriété et d’efficacité pour lesquelles les établissements n’ont pas besoin d’un concours extérieur, concours qui a peu de chances d’advenir en raison des contraintes budgétaires. Passer d’une éthique de conviction à une éthique de responsabilité sur ces sujets est nécessaire. Les grands investissements permettant de sortir les énergies fossiles des établissements viendront mais le directeur d’hôpital ne peut les attendre pour agir.

Notes/Sources :

(1) L'épidémie de dengue la plus intense depuis vingt ans se termine en Guyane, Hospimedia, 30 août 2024

(2) Le changement climatique va favoriser la propagation de la dengue et du chikungunya, Les Echos, 5 avril 2023

(3) Recrudescence de cas importés de la dengue en France Hexagonale : appel à la vigilance à l’approche de la saison d’activité du moustique tigre, Santé Publique France, 23 avril 2024

(4) Article R541-61-2 du Code de l'environnement

(5) Article L230-5-4 du Code Rural et de la Pêche Maritime

(6) Article L230-5-6 du Code Rural et de la Pêche Maritime

(7) Article L224-7 du Code de l’environnement

(8) Décarboner la Santé pour soigner durablement, The Shift project, Avril 2023

(9) Mettre à jour le bilan d’émissions de gaz à effet de serre des services de l’Etat sur une base annuelle facilitant le suivi des résultats et la robustesse du processus de collecte de donnée est fortement recommandé dans la circulaire n°6225 portant engagements pour la transformation écologique de l’État

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